Quelle presse pour quelle information ? |
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Cinéma, meurtre et scandale en ville
L'hiver 1933 est froid et abondamment neigeux, à la grande joie des skieurs. Dans la chaleur des salons parisiens, les intellectuels s'interrogent eux sur le prix Goncourt, décerné à André Malraux, auteur de " la condition humaine ". les conservateurs ne retiennent que " la qualité littéraire " de cet hymne à la gloire de la révolution communiste. Les cinéphiles découvrent " Les lumières de la ville ", dernier film de Chaplin.
Sur le plan politique, la Savoie du Nord s'interroge sur les " petites zones " franches tandis qu'à Chambéry, le cadavre d'une mystérieuse prostituée trouvé à la porte du cimetière du Paradis nourrit les rumeurs populaires. Ce climat quotidien est soudainement dominé le 24 décembre 1933, par la catastrophe de Lagny où le choc entre deux trains cause 200 morts et plus de 300 blessés. Cette émotion étouffe l'envergure du scandale financier qui éclate au Crédit municipal de Bayonne, le 30 décembre. Son directeur, Alexandre Stavisky est accusé d'avoir émis 200 millions de faux bons de caisse. Les conséquences réelles arrivent l'année suivante, lors de l'émeute parisienne du 6 février 1934.
Que conclure?
En 1933, la presse locale savoyarde est passionnante mais incomplète, ensevelie sous diverses informations manquant parfois d'explications et plus gênants teintées parfois d'idéologies préétablies. Les Savoyards parviennent difficilement à une synthèse efficace, au risque de fausser leurs jugements. La situation s'est-elle améliorée 70 ans après ? La radio et la télévision ont accru les sources, abondant paradoxalement la masse d'informations recueillies. La difficulté n'est peut pas si éloignée des difficultés rencontrées en 1933 ? |
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Quatre ans après le déclenchement de la première grande crise économique mondiale, six ans avant le début de la seconde, la presse locale de Savoie couvrait une actualité diverse...
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L'une des grandes caractéristiques de l'Humanité est l'indifférence, aussi bien vis à vis du passé que du futur. Ainsi, même si l'histoire ne se répète pas systématiquement, si 2003 n'a rien à voir avec 1933, il est quand même intéressant de se demander comment, à travers la presse savoyarde de l'époque, nos ancêtres ont pu prendre conscience de ce qui allait se passer.
L'instauration du régime national-socialiste en Allemagne donne, par exemple, matière à informations et à discussions.
Arrivé au pouvoir en février 1933, le chancelier Adolf Hitler construit méthodiquement les fondations de sa dictature dans une Allemagne humiliée par sa défaite de 1918. Il accuse les communistes de l'incendie du Reichstag et fait arrêter les prêtres bavarois qui s'étaient fait l'écho de nouvelles atrocités dans le camp de concentration de Dachau. Le consistoire de l'Eglise évangélique démissionne, refusant de s'associer à l'évêque Muller, ami d'Hitler et élu par des chrétiens partisans du chancelier.
La presse évoque alors la mise en place d'un réseau de surveillance et d'endoctrinement en Allemagne et partout, l'accent est mis sur le travail et la préparation militaire.
Sur le plan international, Hitler se retire de la Société des Nations (ancêtre de l'ONU) et Mussolini exige dans la foulé une " transformation radicale " de l'institution. Alors que l'Angleterre pense pouvoir amener les deux dictateurs à plus de raison, l'inquiétude des petits pays grandit et ils demandent aide et protection à Paris.
Une Europe fragilisée
Régulièrement dans les colonnes des journaux, la fragilité de la nouvelle république espagnole se révèle. Dans un pays ébranlé par une Droite victorieuse aux élections et une Gauche dépitée, les extrémistes " anarcho-syndicalistes " lancent un pseudo coup d'Etat en Catalogne. Dans ce tumulte, les Savoyards apprennent sans explications précises des lynchages aux Etats-Unis, des atrocités en Palestine où Arabes et Hitler s'opposent de plus en plus durement, des coups d'Etat et des assassinats en Afghanistan comme en Amérique du sud. Dans ce contexte international, la France réagit. Le Président du Conseil, Edouard Daladier déclare le 1er décembre : " Nous avons fait de nos frontières un bastion inviolable et nous entendons bien les maintenir équipées en hommes et en munitions ". Le ministre de l'air, Monsieur Cot, promet quant à lui de mener la France au rang de " première puissance aérienne du monde ".
Une grève à Chambéry
En France, 1933 est aussi le théâtre d'une crise surprenante pour l'époque. La France n'étant en effet ni un grand pays capitaliste libéral comme les Etats-Unis et l'Angleterre, ni une dictature pauvre et imprudente telles l'Allemagne et l'Italie.
Occasionnellement, les médias évoquent les 10% de travailleurs français au chômage, ainsi que la réduction d'horaires et de salaires des employés encore en activité (plus d'un tiers). C'est alors que les ouvriers du nord marchent sur Paris pour " demander du pain ". Aussitôt, les municipalités de France et de Savoie organisent des chantiers " de charité ". Dans ce tumulte, les journaux distinguent néanmoins les bons et les mauvais chômeurs. A Chambéry, les articles de l'époque rapportent une grève contre les mauvaises conditions de travail.
Réduire les fonctionnaires
En réaction, le gouvernement radical de Camille Chautemps, récemment installé, propose un plan de redressement financier mêlant économies - surtout par la réduction des salaires des fonctionnaires - et emprunts. La discussion parlementaire fait rage. Les tabloïdes détaillent alors les oppositions, en oubliant souvent les causes du débat et les solutions envisagées.
Simultanément, les " personnalités politiques " demandent de réserver le travail aux seuls Français afin de mieux contrôler le chômage. Tandis que Marcel Deat crée le nouveau parti socialiste de France, l'actualité s'attarde sur le député " républicain socialiste " de la Marne, M. Forgeot, qui déplore " l'impuissance parlementaire, seule excuse des membres de cette chambre incapable d'agir utilement ". L'élu réclame un droit strict de contrôle, mieux, un vrai pouvoir souverain.
Il faut cependant mettre à la tête du pays, un homme ayant autorité sans esprit partisan, instaurant un gouvernement représentatif. Messieurs Herriot et Tardieu s'y attachent alors que la Nation hésite entre un idéal communiste, contesté par la notion d'espions à la solde de Moscou, et un républicanisme démocratique typiquement français, assez " usé ", mais synonyme d'ordre et d'efficacité.
André Palluel-Guillard, historien et maître de conférence, pour le journal Alp'Horizon Savoie à Chambéry
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