© Adagp, Paris 2009 / Photographie Serge Caussé
| | La série des Innamorati, dessins de style burlesque que Cocteau exécuta en 1961, est constituée de saynètes inspirées de la Commedia dell’arte, mettant en scène un pêcheur et une jeune femme de la Riviera. Le poète souhaitait qu’ils fussent conservés à Menton, dans son musée-testament.
Dans une lettre à Jean Marais en 1938, Jean Cocteau écrivait : " la bêtise des amoureux est immense, végétale, animale, astrale".
"Dans la série des Innamorati, composés de visages affrontés d’hommes et de femmes tirant l’un vers l’autre une langue à la fois luxurieuse et agressive, le motif féminin conquiert ouvertement sa signification sensuelle. On notera cependant que la dimension proprement érotique de ces parades d’amour est presque inexistante, ces hommes à peau brune et ces femmes à peau claire, lâchés l’un vers l’autre comme des griffons d’armoiries, donnant de leur attirance l’image d’une dévoration archaïque et méditerranéenne où la violence l’emporte sur le plaisir" (Jean Cocteau, l’œil architecte, Francis Ramirez et Christian Rolot, acr édition, p.146). |
La technique
Jean Cocteau écrit à Jean Marais le 26 janvier 1961, à propos des Innamorati qu’il est en train de dessiner : "je fais de grands dessins en couleurs qui m’éreintent parce que j’écrase des crayons de cire sur le papier noir. Après, je me jette dans l’eau froide". (Jean Cocteau, Lettes à Jean Marais, Albin Michel, p. 477). Confirmant la suprématie de la ligne sur la couleur, et son désir de rester "un poète qui dessine", il écrit dans son journal : "Les couleurs obéissent à l’organisation des lignes comme chez les peintres les lignes obéissent à l’organisation des couleurs".
"L’éclat des couleurs pures dans les tableaux de Cocteau justifierait qu’on évoquât à leur propos le Fauvisme, l’Expressionnisme ou même le Pop Art si le poète peintre n’avait cherché surtout à retrouver le primitivisme et la barbarie des couleurs des peintures d’enfants. Cocteau retrouva une intensité chromatique semblable à celle de ses tableaux en 1961, dans la série des Innamorati, dessins aux craies de couleurs à la cire (exactement "Neocolor 7000" de Caran d’Ache), opacifiant complètement le papier ». (Jean Cocteau, poète graphique, Société Nlle des éditions du Chêne, p. 155).
Les Mariés de la Tour Eiffel
"Les Mariés de la Tour Eiffel" fut monté en 1921 pour les Ballets suédois, une compagnie de danseurs suédois et danois fondée par Rolf de Maré pour concurrencer les Ballets russes. Jean Cocteau créa ces ballets sur une musique du Groupe des Six. C’était une pièce de théâtre avec de la danse, ou un ballet avec des mots, prononcés non par les danseurs mais par deux phonographes disposés de part de d’autre de la scène. Cocteau imagina dans les Mariés un monde à la fois absurde et poétique. Les décors d’Irène Lagut, nuancés de bleu ciel, de gris, de blanc, de vert et de rose donnaient le ton. "Les Mariés" raconte les mésaventures d’une famille de bourgeois parisiens rassemblée un 14 juillet autour d’un repas de noces offert au restaurant du premier étage de la tour Eiffel. Le ballet est une comédie très réussie ; c’est aussi une descente dans l’inconscient, le royaume privilégié de l’art que Cocteau s’est fixé pour priorité d’explorer. Avec les Mariés, Cocteau trouve son style et il influença le théâtre européen pendant la majeure partie de ce siècle" (Jean Cocteau, Musée d’Ixelles, p. 119).
Les lettres à Irène Lagut
Irène Lagut fit une donation en 1983 de cinquante lettres et cartes postales manuscrites de Jean Cocteau. Ces échanges épistolaires eurent lieu de 1919 à 1956 et relatent la profonde amitié qui lia l’artiste à celle qui fut sa collaboratrice sur quelques projets tels que les Mariés de la Tour Eiffel. Ces manuscrits, parfois accompagnés de dessins, contiennent une tendresse ineffable et sont une précieuse source de confidences de la vie de l’artiste à cette époque. Irène Lagut est restée un "port d’attache" de Jean Cocteau à Menton jusqu’à sa mort.
L’amour et l’amitié, vus par Jean Cocteau
"Il m’arrive d’être heureux… le secret de ces crises de bonheur : j’aime autrui… le succès de mes camarades me réconforte… En ce qui concerne l’amitié, je m’y trouve plus à l’aise qu’en amour et cela m’a valu bien des malentendus pénibles et des sarcasmes… J’aime aimer et j’aime qu’on m’aime" (Extraits du film "Autoportrait de Jean Cocteau" interview de J. Cocteau).
"L’amour est sans brio. Il l’annule. On répète : "Je t’aime". De la minute où j’ai choisi certaines gens, certaines choses, où j’étais prêt à mourir pour eux, j’ai perdu la parole et ses gammes. Le virtuose ne sert pas la musique ; il s’en sert. C’est pourquoi il est préférable de l’entendre jouer des musiques médiocres. Il y brille. Vous brillez, faute d’amour. Votre amour est innombrable et nul. Au moins vous n’avez pas commis le crime de vous fabriquer un amour comme Barrès. Et la dispute reprenait de plus belle…" (28 autoportraits - Pierre Caizergues).
"L’amour est encore une frange des ordres que la nature nous donne. Sa prodigalité abuse du plaisir d’un acte où elle pousse les uns et les autres pour assurer son règne. Elle semble souvent en abuser contre elle-même, alors que par les amours infécondes elle protège son économie. La juridiction humaine nomme vice la grande prudence avec laquelle la nature évite l’encombrement. Mais l’amitié parfaite est une création de l’homme. La plus haute de toutes… Ma seule politique fut celle de l’amitié… La véritable amitié… je l’appelle un art, parce qu’elle s’interroge, se corrige sans cesse et signe une paix qui évite les guerres de l’amour… Dans Tristan et Yseult, outre l’amour de Wagner pour son inspiratrice, la passion qu’il éprouve pour sa propre personne dicte le style passionnel. L’œuvre témoigne du couple formé par certains créateurs, de la fièvre qui ravage ce couple monstrueux, et dont une fièvre d’origine externe n’est qu’un paravent de l’invisibilité… J’occupe une forteresse dont les sentinelles protègent l’amitié. Cette forteresse d’amitié me loge depuis 1949. Je regrette de dire qu’elle tiendra et ne cédera qu’à des puissances supérieures, contre lesquelles nous ne possédons aucune arme… J’ai, dans cette forteresse, trouvé la preuve que l’amitié surmonte les vicissitudes de l’amour… L’amitié parfaite et qui n’est point envenimée d’amour, nourrit sa substance de forces étrangères à celles de mon étude. J’insiste sur le fait qu’il y a confusion dans la ligne des frontières, lorsque les forces secrètes s’en mêlent. Et si je parle d’un art de l’amitié, c’est d’un art où l’homme se trouve libre et non pas de l’art dont il est l’esclave. On devine combien cet art me délasse de l’autre, combien je me félicite que l’ombre ne m’y pourchasse pas. Seulement il importe de prendre garde, de pas enfreindre les règles hors desquelles le mécanisme farouche se remettrait à fonctionner. Ayant admis mon irresponsabilité d’artiste, je soigne les responsabilités de mon cœur. Je ne les laisse jamais contrecarrer mon travail. Voilà me diront nos juges, une vie sans feu et qui se résigne. J’avoue préférer cette braise à un feu de joie… L’amitié ne soupçonne, ni ne guette, ni se livre aux reproches. Son rôle sera d’y voir pour ceux que les extravagances de l’amour aveuglent, de les aider dans le bonheur, s’ils l’atteignent, et dans le malheur, s’ils en reçoivent les coups. Ceci dit, l’amitié se devra mêler de l’amour avec prudence, faute de quoi son appui risque de prendre un air de manœuvre au bénéfice de sa préservation… Le métal de l’amitié s’avère incorruptible" (Jean Cocteau, Journal d’un inconnu, les Cahiers Rouges - Grasset).
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