Né le 30 juillet 1948 de parents andalous ayant fui en Afrique du nord pour échapper au franquisme, Jean Reno, de son vrai nom Juan Moreno y Herrera-Jiménez ou Juan Moreno Herrera, suit les cours du Conservatoire de Casablanca avant de s'installer à Paris en 1970. Il fait ses débuts au cinéma en 1978, en tant que figurant dans L'Hypothèse du tableau volé de Raoul Ruiz. La suite, nous la connaissons tous et savons quel grand acteur il est devenu. Interview…
© Bruno Calvo - Gaumont
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| | Qu’est-ce qui vous a le plus surpris et touché à la lecture du scénario de La Rafle ?
Jean Reno : Ce qui m’a surpris avant tout c’est qu’Ilan me propose le film. Ce n’est pas le genre de sujet ni de personnage qu’on a l’habitude de me demander. Ça m’a beaucoup touché. Il est venu me voir, il n’y avait pas encore de scénario, il y avait simplement son désir de témoigner, de raconter cet événement terrible, il m’a parlé de Joseph Weismann qu’ils venaient de retrouver. J’étais à la fois surpris et flatté d’être dans un film dont le sujet est si important, qui allait évoquer un moment si douloureux, qui n’est pas de la fiction, qui porte le flambeau de la mémoire, j’étais fier, pour mes gamins, d’être dans un film qui racontait ça. En même temps, moi, j’ai toujours eu peur du côté "donneur de leçons". Peut-être justement parce que, d’une certaine manière je suis aussi un immigré et qu’il m’a toujours paru difficile de prendre la parole au nom de la communauté nationale… Quand Rose m’a passé son scénario, il n’avait rien de manichéen, et j’ai dit oui tout de suite.
Comment définiriez-vous votre personnage, le Docteur David Sheinbaum ?
Jean Reno : Pour moi, il est simplement l’incarnation du serment d’Hippocrate. Je me suis accroché à ça. Exercer son métier quoi qu’il lui en coûte, où qu’il soit, soulager la douleur, soigner, faire les gestes élémentaires… Ces gamins, il ne peut pas ne pas les accompagner jusqu’au bout. C’est comme un fil qu’il tire et qu’il ne peut que suivre. Et il se retrouve là-bas, dans le camp, dans la forêt, avec eux… Je me suis d’ailleurs demandé, à la lecture du scénario, comment, alors qu’on est en pleine vie, en pleine lumière, qu’on peut se déplacer et faire ses courses où on veut et comme on veut, sans porter d’étoile, comment on peut interpréter cet homme qui, à cause de la communauté à laquelle il appartient, se retrouve empêché de tout et pratiquement condamné à mort. Comment fait on pour interpréter ce mec de |
l’intérieur ? Juste, peut-être, penser qu’on peut tous un jour être membre d’une communauté agressée, méprisée, soumise à la barbarie. Je ne suis pas juif, mais j’ai été élevé par des juifs, j’ai passé beaucoup de temps avec eux. A Casablanca, dans mon enfance, toutes les communautés, toutes les nationalités, toutes les religions coexistaient. Les Musulmans, les Juifs, les Français, les Américains, les Corses… Ces interrogations, on les a avant le tournage. Au moment où l’on tourne, comme d’habitude, les choses se font chimiquement, il y a toujours cette magie qui se crée sur un plateau, cette ambiance de travail, et puis aussi sans doute, il faut bien que je l’admette, cette expérience à laquelle je ne pense pas mais qui doit bien être utile… En tout cas, Sheinbaum, je l’ai fait comme un enfant, pas comme un adulte. Dans une sorte d’innocence et de pureté. Sinon, c’était impossible. Il aurait été fracassé, sans pouvoir agir, sans plus rien pouvoir faire…
Comment se protége-t-on d’un tel rôle, d’un tel sujet ? Est-ce qu’on s’en protège d’ailleurs ?
Jean Reno : Oui, il vaut mieux s’en protéger un peu pour ne pas perdre pied… Quand on se retrouve au milieu du Vel’ d’Hiv’ et qu’on réalise les conditions dans lesquelles ces milliers de gens sont restés plusieurs jours, quasiment sans toilettes, sans eau… Si on se laisse envahir par tout ça, on ne peut qu’être anéanti et on ne peut plus continuer. Beaucoup ont fait des maladies psychosomatiques sur le tournage. Moi, mon remède a été de dire des bêtises, beaucoup de bêtises ! C’est un truc andalou : quand je suis affecté, je rigole. Histoire de désamorcer les bombes ! Mélanie a compris très vite. Rose a été un peu surprise au début, puis elle a compris que c’était une manière pour qu’il n’y ait pas trop de fantômes… J’ai beaucoup mangé aussi. Beaucoup ! Et beaucoup grossi. Gad, qui est plutôt du genre angoissé, me disait : "Mais, putain ! Comment fais-tu pour gérer tout ça ?" et je lui répondais : "On va aller manger ce soir !". Il était fou !
Vous connaissiez Mélanie Laurent qui joue votre infirmière ?
Jean Reno : Non, pas du tout. Avec ses grands yeux tels un lac, c’est quelqu’un de très présent... Elle est très professionnelle, et surtout très à l’écoute de l’autre, sachant réagir en fonction du jeu de ses partenaires. A la fois tranquille et déterminée. Un petit bout de femme à l’apparence fragile mais forte à l’intérieur. Quelqu’un de costaud. Ce qui ne l’a pas empêchée, elle aussi, de tomber malade ! Notre relation est très bien écrite dans le scénario. En d’autres temps, en d’autres lieux, cet homme et cette femme auraient peut-être pu vivre d’autres choses ensemble. Mais là, c’est impossible. Je ne le vois même pas se déshabiller, ce médecin ! Il dort en blouse blanche, je pense. C’est comme s’il n’avait ni femme, ni famille, qu’il n’était que son métier. Il pourrait être tous les médecins du monde au fond…
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