Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale
Carte d’identité de Jean Moulin au nom de Joseph Mercier
Le général de Gaulle en visite à Lyon, le 14 septembre 1944
| | Interview de Laurent Douzou, Professeur des universités en Histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques de Lyon. Membre du conseil scientifique du CHRD.
En 1940, Lyon se trouve être l’une des principales métropoles de la zone non occupée : quel statut lui confère cette position ?
Laurent Douzou : L’armistice, en créant une zone non occupée, dessine une nouvelle géographie politique et mentale de la France. Il n’y a plus une France mais plusieurs et la souveraineté que le régime installé à Vichy revendique fait de la zone non occupée une entité particulière. Au tout début, Marseille n’attire pas moins que Lyon et on peut penser que c’est Marseille qui fera figure de véritable "capitale" de la zone non occupée. Très vite pourtant, Lyon s’impose : c’est là que s’installent les directions des grands |
mouvements de résistance qui voient le jour en 1941. Sa situation géographique, proche de la ligne de démarcation, nœud ferroviaire de première importance, a joué en faveur de la capitale des Gaules tout comme le fait que beaucoup d’élites intellectuelles parisiennes (journalistes, écrivains) y ont trouvé refuge. Grande métropole, Lyon présentait également l’avantage d’offrir des services d’un haut degré de compétences, par exemple grâce aux ouvriers du Livre qui prêtèrent leur concours à la Résistance.
En septembre 1944, le général de Gaulle désignait Lyon "capitale de la Résistance". Ce titre vous paraît-il aujourd’hui justifié ?
Laurent Douzou : Le général de Gaulle n’était pas homme à improviser à la légère et à se laisser aller, dans la chaleur d’un instant fort, à prononcer des mots qui auraient dépassé sa pensée. Il savait trop le pouvoir des mots. C’est en toute connaissance de cause qu’il a qualifié Lyon de "capitale de la Résistance". La capitale étant occupée, Lyon a été le centre névralgique d’une bonne part de la Résistance jusque dans l’été 1943 quand Paris a repris le rôle qui lui était dévolu depuis des siècles. La médaille de la Résistance fut décernée à Lyon tandis que Grenoble recevait la croix de la Libération comme Vassieux-en-Vercors, ce qui était une façon de souligner la part prise dans le combat par la région Rhône-Alpes.
Jean Moulin est une des figures héroïques émergentes de cette époque. Quel a été son rôle dans la Résistance et son action à Lyon plus particulièrement ?
Laurent Douzou : Jean Moulin est devenu le héros éponyme de la Résistance avec son entrée au Panthéon en décembre 1964 : énoncer son nom, c’est ipso facto évoquer la Résistance. Il a joué un rôle crucial dans l’unification de la Résistance française concrétisée par la fondation du Conseil national de la Résistance en mai 1943. L’action qu’il a menée jusqu’à son arrestation le 21 juin 1943 a d’abord eu pour centre la ville de Lyon ; c’est là qu’il est parvenu à unifier les mouvements de la Résistance non communiste de la zone non occupée. Lyon a été en quelque sorte son quartier général.
Peut-on dire que Lyon a également été une base de répression à l’encontre des résistants et de la persécution des Juifs ?
Laurent Douzou : La densité de résistants à Lyon et le grand nombre de réfugiés, notamment juifs, ont amené le régime de Vichy et les Allemands, à partir de l’occupation de la zone sud en novembre 1942, à y exercer une répression dont le caractère impitoyable est allé croissant jusqu’aux heures brûlantes de l’été 1944. La rafle de la rue Ste-Catherine, le 9 février 1943, au cours de laquelle 84 personnes furent arrêtées par la Gestapo de Lyon sous les ordres de Klaus Barbie, est un des épisodes les plus dramatiques de la traque dont les Juifs furent victimes. Des 84 Juifs arrêtés ce jour-là et déportés dans les camps d’extermination, seuls 4 sont revenus. Côté résistants, c’est l’arrestation à Caluire, le 21 juin de cette même année, de Jean Moulin et d’autres hauts responsables de l’Armée secrète qui symbolise cette répression.
Selon vous, dans quelle mesure le procès Barbie, qui s’est tenu à Lyon en 1987, a-t-il contribué à raviver la mémoire de cette période auprès des Lyonnais ?
Laurent Douzou : Le procès de Klaus Barbie a bel et bien ravivé la mémoire de cette période sombre à Lyon, notamment grâce aux témoignages poignants livrés à cette occasion par les victimes : on croyait tout savoir déjà et soudain la parole vive des actrices et des acteurs faisaient toucher du doigt une réalité enfouie. La création du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation en 1992, à l’initiative du maire de Lyon de l’époque, Michel Noir, fut une des retombées de ce procès hors normes : le fait que le CHRD ait été installé dans les locaux de l’ancienne Ecole de Santé militaire qui avait été le siège de la Gestapo à Lyon et où avait œuvré Klaus Barbie ne devait évidemment rien au hasard.