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Les crétins de Savoie

8 mn de lecture

L’histoire du crétinisme en Savoie

André Armand et Raphaël Sandraz
Merci à Mr André Palluel-Guillard pour sa participation

De Tarentaise ou Maurienne : Ces crétins de Savoie !

CrétinismePendant longtemps les hommes en parlèrent comme d’une curiosité. Certains parents regardaient la venue d’un tel enfant comme un don du ciel. Le crétinisme saisit la Savoie au milieu du XIXème siècle avec 7.084 cas recensés en 1845.

En 1845, le roi Charles-Albert créa une commission pour enquêter sur le sujet…

Ému et alerté, le roi Charles-Albert créa en 1845 une commission sur le sujet, composée de spécialistes en médecine, chimie et géologie dont Monseigneur Billiet, archevêque de Chambéry.

L’objet était simple : enquêter puis rédiger un « dossier blanc » sur la progression du crétinisme  dans les provinces et les mandements. Bien des causes de propagation furent explorées : conditions atmosphériques, nature du sol, qualité des eaux. Assistés de curés et de syndics, les médecins se répartirent entre Saint-Jean-de-Maurienne, Moûtiers, Albertville, Aoste, Aiton ou encore Bourgneuf ; rapprochant leurs réflexions sur le crétinisme et l’affection du goitre.


Dénommés « les marrons » en Vallée d’Aoste à cause de leur teint obscur, qualifiés de « Trissel » en Valais, appelés « Scempiaggine » en Italie…

Les premières études sur l’infirmité, menées au XVIème siècle, avaient déjà été suivies de publications des médecins suisses Félix Plater et Josias Smiler. Pour poursuivre l’enquête, le Dr Trombotto fut appelé à organiser les investigations. Dénommés « les marrons » en Vallée d’Aoste à cause de leur teint obscur, qualifiés de « Trissel » en Valais, appelés « Scempiaggine » en Italie, les crétins des Etats sardes allaient ainsi être soignés.

Selon les médecins, le crétinisme était « une organisation manquée » sans trace de beauté, ni harmonie. Les exemples cités évoquent une petite intelligence, tel ce jeune crétin de Saint-Avre, qui gagnait sa vie en imitant le soldat. Étaient également mentionnés des « semi crétins », dépourvus de course rectiligne. « Ils manifestent une fatigue musculaire. Les hommes se limitent à porter du bois, de l’eau, à garder les troupeaux tandis que les femmes assurent la garde des enfants au berceau » soulignait les médecins.


Localisation des cas de crétinisme

CrétinismeEn Vallée d’Aoste

Le crétinisme resta à l’état endémique dans les Etats Sardes, se limitant aux vallées profondes et humides. Son extension vint surtout de la vallée d’Aoste, à Pignerol, à Ivrée ou à Gressoney où les villages logés en fond, près des torrents, recevaient peu la lumière solaire, notamment l’hiver. Quelques villages mieux exposés, comme Gressan, Villeneuve, Ollomont étaient également concernés.

En Maurienne

En Maurienne, des cas apparurent : nombreux à la Chambre, moins à Modane et très peu à Lanslebourg.

A Aiguebelle, « les hoès » étaient « de petite taille et nonchalants » consignait Mgr Vibert, certain que dans la vallée, le crétinisme se concentrait dans les habitations sales.

« La vieille race croupit dans ses anciennes conditions de torpeur de paresse, d’infection et de misère ! » déclarait-il.

En Tarentaise

En Tarentaise, la population, fractionnée durant l’hiver par l’émigration comme à Tignes  et Bonneval, voisinait des centres principaux d’infection à Bourg-Saint-Maurice, Aime ou Bozel, alors que Séez semblait protégée par le courant d’air.

Le docteur Trescal nota près d’Aime, un brouillard persistant et, parallèlement, un crétinisme réparti sur la rive gauche de l’Isère. Landry et Mâcot baignaient dans les vapeurs d’un Isère rapide et écumeux.

Plus bas, les observations du docteur Varcin signalaient une dégénération du crétinisme entre Cévins et Albertville en passant par Tours, Conflans, la Bâthie, Saint-Paul, Esserts-Blay. « Les courants d’air y sont modérés » commentait-il.

Tout aussi singulier, les différences marquées entre rive droite et rive gauche de l’Arly, autour d’Albertville. Entre la plaine de l’Hôpital de construction récente et la colline de Conflans où logeaient des crétins et gens de frêle complexion !

En Combe de Savoie

Concernée aussi, la Combe de Savoie abrita des crétins » plus nombreux dans les lieux bas, isolés, abrités de l’air, privés de commerce, que dans les endroits élevés ou les routes de passage » insistait les observateurs. Si les pieds de la chaîne des Bauges profitaient d’un climat doux, la rive gauche de la Combe de Savoie, près de Monthion, de Grignon et Notre-Dame-des-Millières, renfermait des zones marécageuses où les habitations s’ensevelissaient sous une frondaison propice au crétinisme, à la scrofule, au rachitisme voire aux fièvre.

Vers le Sud également, de Bourgneuf à Laissaud, les villages restaient infectés. Fallait-il alors déceler dans cette attaque disparate une quelconque influence géologique ? Comme le fit remarquer Mgr Billiet, archevêque de Chambéry, en constatant que « sur 150 paroisses en terrain calcaire, sept seulement sont touchées par le crétinisme ».

 

Description des crétins

CrétinismeLes rapporteurs de l’enquête cherchèrent d’éventuels impacts topographiques sur l’expression du crétinisme. La vérification de l’hygiène dans chaque province : Savoie, Aoste, Pignerol et Valais amena plusieurs constatations, en premier lieu sur la physionomie des malades.

« La stature des crétins ne dépasse pas un mètre et demi » commentaient les hommes de science. « Ils sont à la fois maigres, grêles, chétifs, à l’état œdémateux« .

Les vrais crétins ont rarement le goitre…

Le docteur Trombotto compara ces observations en Vallée d’Aoste, en Maurienne, en Tarentaise et même en Combe de Savoie. Comme son confrère le docteur Duclos, menant l’enquête sur Betton-Bettonnet et la vallée de l’Isère, le spécialiste constata que, sur les 75 cas étudiés, « la tête est plate, le front restreint, le nez écrasé s’élargit tandis que la face est dégarnie de poils. Enfin, le col s’accompagne d’un goitre, mais les vrais crétins ont rarement le goitre !« .

Le docteur Trombotto pu ainsi constater que le crétinisme endémique s’exprimait sur les terres fermes des vallées, près des soulèvements alpins autour du Mont-Viso, du Mont-Blanc et du Mont-Rose. « L’infection commence dans les Alpes-Maritimes, s’accentue dans les Alpes Cottiennes et Pénnines » notait-il.

Les crétins se rencontraient alors dans les habitations écartées du chef-lieu, des lieux souvent mal exposés et près des marais, sinon dans les villes où passaient beaucoup d’étrangers. « Ce n’est pas toute la ville, mais la partie la plus reculée du centre, là où le progrès de civilisation n’a pas fait sentir son influence heureuse » indiquait encore un médecin. Des conclusions qui n’évincèrent toutefois pas quelques exceptions, amenant à douter que de réelles relations puissent être établies entre conditions locales, goitre et crétinisme.


En 1846, le rapport de l’enquête est rédigé

Maurienne goitre crétinEn 1846, les éléments de cette enquête arrivèrent sur le bureau du docteur Trombotto. Rédigé en italien et traduit en français, l’épais rapport approfondissait, en 200 pages et 7 chapitres, l’histoire du crétinisme, ses symptômes, sa répartition dans les Etats Sardes et les mesures thérapeutiques préconisées.

La commission se fit « un devoir de proposer à la sagesse du gouvernement » des mesures basées sur « des faits pratiques, généraux, observés dans les localités visitées » indiquaient les termes du « dossier blanc ».

Certains que l’application de leurs recommandations allait répondre « aux vœux du gouvernement et surtout à l’espérance qu’il a conçue d’améliorer les conditions de cette partie de la grande famille subalpine », les scientifiques apposèrent tous leurs signatures au bas du document. Tous sauf Mm Gene et Belingeri, observateurs ravis à la science sans que leurs décès soient expliqués.

Le goitre révéla sa réelle affection : celle de la glande thyroïde, conséquence d’un air et d’une eau appauvries en iodures et par une mauvaise alimentation

Depuis, les progrès furent considérables. Dans les pays où le crétinisme resta endémique, le goitre révéla sa réelle affection : celle de la glande thyroïde. Conséquence d’un air et d’une eau appauvries en iodures et par une mauvaise alimentation, le goitre n’influença jamais le développement intellectuel, et n’eût que rarement un rapport avec le crétinisme. Même si nombre de crétins affichaient un goitre important sans que le volume de celui-ci n’interfère sur le degré de crétinisme. Désormais, l’affection de la glande thyroïde est traitée par « Gamma Camera ». L’examen permet un diagnostic rapide et oriente ensuite l’intervention chirurgicale.

De cause à effet

Le gouvernement de Charles-Albert fut particulièrement préoccupé des déformations physiques de sa population, des affections susceptibles de menacer la qualité de ses contrées. La classification établie privilégia l’environnement du pays, les contextes locaux, les causes sociales conjoncturelles sinon individuelles telles que l’hérédité et l’alimentation. Seulement, la recherche des causes du crétinisme rencontra nombre d’obstacles : la difficulté du sujet abordé, des études attachées à une localité, parfois une méthode défectueuse. Pour autant l’enquête menée permit de séparer cas isolés et réelles influences hygiéniques.

 

Solutions et prévention de la commission

Crétin IsèreLes conclusions des rapporteurs de la commission fondée par le roi Sarde apportèrent de réelles solutions. Guidés par « l’amour de la science et de l’humanité souffrante », les médecins attestèrent que le crétinisme n’était point inguérissable à moins que la tête ne soit difforme dès la naissance. Dans ce cas, le malade devenait incurable. Sinon, la difficulté de guérir croissait avec l’état adulte.

La commission préconisa également des mesures préventives : l’asséchement des marais, l’installation de citernes d’eau potable, la création d’une instance chargée des règles de salubrité. Des mesures furent également prises pour empêcher tout mariage entre personnes atteintes de crétinisme. Cela alla jusqu’à la fondation d’écoles obstétriques visant la régularisation des naissances ! La commission poursuivit en encourageant, d’une prime, les mères bienveillantes pour leurs progénitures. Le docteur Fodéré invita même les épouses, dans les familles marquées par le crétinisme, à habiter en hauteur durant leur grossesse et à allaiter leurs nourrissons pendant les premiers mois.

En créant un établissement à Berne, en Suisse, tout près du lac du Thun, le docteur Guggenbuhl exploita de son côté, le climat tempéré pour traiter les enfants malades, avec un esprit médico-pédagogique. Le médecin raffermit la constitution physique des enfants par une gymnastique intellectuelle et corporelle, encourageant en 3 à 6 ans, une guérison hélas non exempte de rechute, dès l’âge de 7 ans.

De l’air !

Le dossier blanc fit ainsi apparaître des effets aériens attestés. Dans les vallées moins touchées, les conditions atmosphériques semblaient corrigées pas les vents. Par contre, l’alternance du chaud et du froid paraissait néfaste « à ceux qui sont languissants et affaiblis » commentèrent les médecins. « Le manque de lumière solaire rendait les hommes jaunes et, semble-t-il, de petite taille. »

« Le manque de lumière solaire rendait les hommes jaunes et, semble-t-il, de petite taille. »

De la terre !

L’enquête s’arrêta aussi sur les phénomènes électriques et les orages sans qu’aucune corrélation avec le crétinisme ne puisse être établie. Étrangement, le crétinisme en Savoie ne franchit jamais la lisière entre les grands soulèvements schisteux et calcaires. Une influence du sol ?

De l’eau !

Les observations du docteur Demeva d’Oneille révélèrent en revanche l’impact de la sous-alimentation. Les eaux restaient en certains lieux de très mauvaise qualité, surchargées de sulfate et carbonate. Peu de familles mangeaient du pain de froment à cette époque où la pomme de terre faisait tout juste son entrée dans l’économie domestique, mais plutôt un pain de seigle voire une bouillie de maïs. Cette uniformité alimentaire se révélait qualitativement comme quantitativement nuisible à l’organisme. La viande à table restait exceptionnelle. Corroborant ces analyses, les épidémies de fièvre typhoïde laissaient souvent de traces physiques sur les populations, notamment des têtes énormes, des goitres et des cous empâtés. Durant son séjour en Vallée d’Aoste, le docteur Trombotto déclara même, en l’associant au crétinisme : « Je n’ai jamais entendu chanter par les gens du pays, une seule chanson villageoise ».

« Je n’ai jamais entendu chanter par les gens du pays, une seule chanson villageoise »
docteur Trombotto

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2 commentaires

Louis Changeur 25 mars 2021 - 17 h 32 min

Bonjour,je suis animateur et j’aspire à réaliser un court métrage d’animation au sujet des crétins des Alpes.
D’abord, merci beaucoup pour cet article qui contribue à me documenter sur le sujet.
J’aimerais savoir si par hasard, vous connaîtriez un ou plusieurs lieux,en Savoie ou même en Haute-Savoie, liés au crétinisme : musées, expositions, ou lieux historiques directement liés aux crétins, sinon à l’histoire de la Savoie et à sa culture.
Dans l’optique de pousser davantage mon travail de documentation et de l’ancrer dans le réel, j’aimerais visiter ces lieux s’ils existent.
Merci de m’avoir lu et bonne journée.

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Les crétins de Savoie | Savoie d'hier et... 5 novembre 2014 - 19 h 04 min

[…] Pendant longtemps les hommes en parlèrent comme d’une curiosité. Certains parents regardaient la venue d’un tel enfant comme un don du ciel. Le crétinisme saisit la Savoie au milieu du XIXème siècle avec 7.084 cas recensés en 1845. Histoire de ce "crétinisme" qui était en réalité dû à une affection de la glande thyroïde, conséquence d’un air et d’une eau appauvries en iodures et d'une mauvaise alimentation.  […]

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